Faut-il séparer l'œuvre de son auteur ? Cinq femmes accusant un influent prêtre et artiste slovène d'agressions sexuelles au début des années 1990 ont demandé vendredi à l'Eglise catholique le retrait de ses œuvres exposées dans divers lieux de culte de par le monde.
Marko Rupnik, théologien et mosaïste de renommée mondiale aujourd'hui âgé de 69 ans, est accusé d'avoir exercé des violences psychologiques et sexuelles sur au moins une vingtaine de femmes pendant près de 30 ans, notamment au sein de la communauté qu'il dirigeait à Ljubljana, aujourd'hui dissoute.
Or plus de 200 de ses œuvres, visibles à Lourdes, Fatima, Damas, Washington et jusqu'au Vatican, "sont exposées dans des lieux dans lesquels chaque croyant se recueille en prière (...) et suscitent le trouble dans l'âme des fidèles", plaident cinq femmes dans une lettre adressée aux évêques et dont l'AFP a obtenu copie.
Elles "demandent de retirer les œuvres réalisées par le père Marko Rupnik présentes dans vos diocèses", précise le courrier signé par leur avocate, Me Laura Sgro.
Les plaignantes -une Italienne, une Française, une Slovène et deux femmes souhaitant rester anonymes- s'en étaient jusqu'alors remises aux autorités ecclésiastiques pour décider du retrait des œuvres, reconnaissant que "la question de la séparation de la vie de l'auteur de ses œuvres est compliquée".
Mais les témoignages ont mis en lumière le fait que "de nombreuses femmes ayant subi des blessures irréparables [...] revivent" leur traumatisme au contact de ces mosaïques, souligne le courrier.
Par ailleurs, "il est apparu que lors de la création de certaines mosaïques, au moins une sœur a été agressée sexuellement" sur un échafaudage, tandis que d'autres victimes présumées affirment avoir été violentées alors qu'elles servaient de modèle au prêtre. - "Prudence" -
Ce dossier très médiatisé, qui a ébranlé l'Eglise et remis en question la politique de "tolérance zéro" prônée par le pape François, relance le débat sur le sort des œuvres d'artistes mis en cause dans des violences.
Selon le magazine jésuite américain America, le préfet (N°1) du dicastère (ministère) pour la communication au Vatican, Paolo Rufini, a défendu le maintien de ces mosaïques la semaine dernière.
"En tant que chrétiens, nous devons comprendre que la proximité avec les victimes est importante, mais je ne sais pas si (le fait de retirer l'art de Rupnik) est un moyen de s'unir (à elles)", a-t-il déclaré lors d'une conférence à Atlanta. "Retirer, supprimer, détruire l'art n'est jamais un bon choix."
Le dicastère pour la Communication a lui-même utilisé les œuvres de Rupnik pour des publications en ligne, notamment le site d'information officiel Vatican News.
Sollicité par l'AFP, le Vatican n'a pas donné suite mais le cardinal américain Sean O’Malley, président de la Commission pontificale pour la protection des mineurs, a invité à la "prudence" dans l'utilisation des œuvres, selon un communiqué publié vendredi par la Commission.
"Nous devons éviter d'envoyer le message selon lequel le Saint-Siège est inconscient de la détresse psychologique dont soufrent tant de personnes", a plaidé cet influent prélat dans un lettre envoyée le 26 juin aux responsables de la Curie romaine.
A Lourdes, où des mosaïques du père Rupnik ornent la façade de la basilique, un groupe de réflexion - incluant évêques, expert en art sacré, victimes et psychologues - est chargé de l'instruction du dossier et doit rendre prochainement sa décision. L'Ordre des Jésuites, dont est issu le pape François, a exclu Marko Rupnik en juin 2023.
Le Vatican avait invoqué la prescription des faits pour clore le dossier en 2022 sans enquête canonique, le père Rupnik voyant seulement des restrictions imposées par la Compagnie de Jésus à son ministère.
Mais en 2023 le pape a levé cette prescription pour permettre le déroulement de la procédure.
Lors d'une conférence de presse en février à Rome, deux ex-religieuses avaient témoigné des méthodes de manipulation psychologique du père Rupnik, affirmant que ce dernier invoquait la Trinité pour contraindre les religieuses à avoir des relations sexuelles à trois avec lui.
L'utilisation des œuvres de Rupnik rappelle le cas du père Louis Ribes, un prêtre français accusé de pédocriminalité dont les vitraux avaient été retirés d'une église du Rhône en 2023 sous la pression de deux associations de victimes.
La rédaction (avec AFP)